Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine est déclarée depuis une semaine, de nombreuses questions se posent quant à l’organisation des jeux paralympiques d’hiver de Pékin, se déroulant du 4 au 13 mars 2022, et où les deux nations concourent. C’est alors dans un contexte exceptionnel et sous un climat particulier que l’évènement se déroule.
Par Antoine Caburet
Jeudi 24 février, la Russie lance une offensive militaire sur le sol Ukrainien. Moscou choque alors à ce moment la scène internationale. En effet, les réactions politiques, économiques, géopolitiques, et même sportives ont été nombreuses. Beaucoup de fédérations sportives internationales comme la Fifa et l’UEFA ont exclu ou suspendu les athlètes russes et biélorusses des futures compétitions. Le Comité international olympique (CIO) a même "recommandé" leur exclusion.
Des décisions inédites selon Lukas Aubin, docteur en géopolitique, spécialiste de la Russie et du sport : " Par son ampleur et sa rapidité, cette exclusion quasi-totale de la Russie par l’ensemble du mouvement sportif mondial est du jamais vu dans l’histoire." explique-t-il à Franceinfo. Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport confirme : " Ce qui se passe était inimaginable il y a encore une semaine. On est dans de l’inédit, dans un schéma où on ne peut pas utiliser les grilles de lecture du passé. Ce n’est pas la guerre froide, on est au-delà."(FranceInfo)
La Russie, la Biélorussie et leurs athlètes exclus
Autorisés dans un premier temps à concourir "sous bannière neutre" par le CIP (comité international paralympique) ce dernier fait marche arrière et exclu les athlètes Russes et Biélorusses de la compétition. Le CIP justifie son revirement dans un communiqué par le fait que “des équipes et des athlètes menacent à présent de ne pas participer, compromettant les chances de réussite des jeux paralympiques d’hiver de Pékin 2022”.
En effet, le choix initial de laisser les deux pays concourir avait été vivement critiqué : " Le fait de ne pas exclure ces deux délégations est incompréhensible. On argumente en fonction des règles, pendant qu’en Ukraine on tue sans aucune règle. Cette décision envoie un signal totalement mauvais." déplorait le président de la Fédération allemande des sports paralympiques. (France24)
Andrew Parsons, président du CIP (Comité International Paralympique) avait expliqué que les statuts de l’organisation ne permettaient pas d’exclure ces athlètes. En tout cas, pas avant l’organisation d’une assemblée générale prévue plus tard cette année.
Suite à la décision finale, Andrew Parsons a tenu à s’adresser lors d’une conférence de presse aux 83 athlètes des deux pays concernés : " Nous sommes désolés que vous soyez concernés par les décisions que vos gouvernements ont pris la semaine dernière." a-t-il déclaré. " Vous êtes les victimes de actes de vos gouvernements."(France24).
Accusées par le CIO d’avoir brisé la trêve olympique, la Russie et la Biélorussie n’ont donc pas pu participer à ces Jeux.
Les athlètes Ukrainiens bien présents malgré la guerre
"C’est un miracle qu’on soit arrivés.", tels étaient les mots de Valeriy Sushkevych, président du comité paralympique ukrainien lors de l’arrivée à Pékin des 20 athlètes et neuf guides malgré les conditions très difficiles. " Notre présence aux Paralympiques n’est pas anodine. C’est un symbole que l’Ukraine fut, est et restera un pays." avait-il déclaré au journal Le Point.
La délégation Ukrainienne avait par ailleurs reçu d’innombrables messages de solidarité lors de son arrivée à Pékin.
L’ensemble des athlètes Ukrainiens ainsi que son staff étaient donc présents lors de la cérémonie d’ouverte de ces jeux Paralympiques d’hiver, qui s’est déroulée sous une ambiance glaciale. En effet, certains athlètes Ukrainiens ont défilé poing levé derrière leur porte drapeau Maksym Yarovyi, et sous des applaudissements soutenus du public.
Un geste fort qui s’est également accompagné du discours d’ouverture d’Andrew Parsons, qui s’est dit "horrifié par ce qu’il se passe dans le monde. Le XXIe siècle est celui de la diplomatie et de la négociation, pas de la guerre et des conflits." Il avait également tenu à rappeler l’importance des 564 athlètes engagés dans ces Jeux : " Ils courent ensemble, les uns avec les autres et pas les uns contre les autres." Le président du Comité international paralympique avait finalement conclu son intervention en hurlant un appel à la paix. (Le Parisien)
A travers cette cérémonie d’ouverture historique bouleversée par le contexte particulier d’une guerre, ces Jeux ont donc été un moyen d’utiliser le sport comme vecteur de paix.
"On a l’impression d’avoir une mission”
Suite à leur ouverture, les Jeux ont ainsi pu débuter, et l’ensemble des athlètes se sont lancés dans la course aux médailles. Les 564 sportifs ayant fait le déplacement se sont affrontés dans les six disciplines au programme (biathlon, curling en fauteuil roulant, hockey sur luge, ski alpin, ski de fond et snowboard).
L’Ukraine a par ailleurs brillée lors de la compétition, et ce dès la première journée. En effet, les athlètes Ukrainiens ont semblé êtres galvanisés par le contexte et s’étaient classés en tête du classement provisoire dès les premiers instants des Jeux. Ils glanaient sept médailles en para biathlon, dont trois titres, avec notamment le premier sacre paralympique de Grygorii Vasylovych sur le 7,5 km debout masculin.
L’équipe ukrainienne survola également l’épreuve dans la catégorie déficient visuel cette fois-ci, avec un podium aux couleurs du pays. Vitaliy Lukyanenko a ainsi remporté l’or sur le sprint et a partagé le podium avec deux de ses compatriotes, Oleksandr Kazik en argent et Dmytro Suiarko en bronze.
Du côté des femmes Oksana Shyshkova était arrivée en première place sur le sprint dames (catégorie déficient visuel). Liudmyla Liashenko avait quant à elle remportée l’argent sur le sprint en catégorie debout. Enfin, la dernière médaille était décrochée par Taras Rad sur le sprint assis.
Mais, malgré la joie des médailles, l’ombre de la guerre était toujours bien présente dans les esprits, comme l’expliquaient les championnes de para-biathlon Oksana Shyshkova et Irina Bui : " Quand j’ai pris le départ toutes mes pensées étaient pour ma famille, ceux restés en Ukraine, je leur dédie ma victoire." "Le monde entier sait ce qu’il se passe en Ukraine. Ici, on a l’impression d’avoir une mission. Je représente mon pays et tous les Ukrainiens sont derrière moi."(Franceinfo)
Shyshkova déclara également que " les médailles n’ont aucune importance, en comparaison de ce que vivent nos proches et les gens qui ont déjà souffert de la guerre." Lukayenko à quant à lui tenu à dédier sa médaille d’or " aux gars qui protègent nos villes." (Le Figaro)
C’est donc avec une énergie immense et l’envie de représenter et soutenir dignement leur pays que les athlètes ukrainiens se sont présentés à chaque épreuve. Un état d’esprit que le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’a pas manqué de souligner. Il avait en effet expliqué dans un discours que : " les victoires de de l’Ukraine valent pour nous tous leur pesant d’or, d’argent ou de bronze." Pour le chef de l’état, " cela montre au monde qui sont les Ukrainiens et quelle force nous avons, avec une arme à la main sur le champ de bataille ou avec un fusil de sport sur une piste de biathlon." (The Guardian)
Ce succès n’est pas non plus surprenant. Pour cause, depuis plusieurs années, l’Ukraine est dans le top six du tableau des médailles des Jeux Paralympiques. Mais cette impressionnante récolte de médailles a sans doute été stimulée par la guerre et l’absence de concurrents russes.
La délégation ukrainienne continua de briller tout au long de la compétition, et se positionna finalement à la seconde place de l’évènement avec 29 médailles dont 11 en or, derrière la Chine (61 médailles dont 18 en or).
Un appel à la paix
En plus de leurs performances exceptionnelles, les athlètes ukrainiens avaient régulièrement manifesté durant ces jeux afin de soutenir leur pays.
En effet, afin de montrer leur unité et leur force, l’ensemble de la délégation s’était rassemblée au village olympique. Ils ont observé une minute de silence devant une banderole ornée du message : "La paix pour tous", pour rendre hommage aux victimes de la guerre. Valeriy Sushkevych a alors expliqué ce geste : "Cette minute de silence est pour les milliers de personnes, y compris les enfants et les personnes handicapées qui se trouvent en Ukraine. Si l’humanité est civilisée, alors cette guerre doit être arrêtée. Les gens, les femmes et les enfants méritent de vivre pas de mourir." (France24)
L’avenir de l'handisport ukrainien est par ailleurs menacé par le conflit. En effet, le président du comité paralympique ukrainien exprimait lors de ses jeux son inquiétude quant au futur du mouvement sportif dans son pays : " Nous sommes les leaders du mouvement paralympique (…) et aujourd’hui je redoute que le mouvement handisport disparaisse en Ukraine. Les meilleurs sportifs du monde du mouvement paralympique ne savent pas s'ils vont pouvoir continuer à faire leur sport." (AFP)
Pour cause, la guerre a laissé de lourdes traces, obligeant ainsi le centre d’entraînement pour les sports d’hiver, dans l’ouest de l’Ukraine à devenir un camp accueillant des réfugiés chassés par l’avancée des troupes russes. "On ne pouvait pas dire non, il ne s’agit que de sport.", expliquait M. Sushkevych qui a précisé que des sportifs paralympiques et leurs familles vivent dans ce camp, tandis que d’autres sont cachés ailleurs et n’ont plus la possibilité de se déplacer et encore moins de s’entraîner. "Cela sera très difficile de reconstruire le mouvement paralympique s’il meurt." avait-il conclu.
L’avenir est alors plongé dans l’incertitude pour l’Ukraine et sa délégation paralympique. A l’heure d’aujourd’hui, la guerre fait toujours rage, et sa fin n’est pas connu et semble très difficile, voire impossible à prédire. Les athlètes se rattachent ainsi à l’espoir d’un retour à la paix dans leur pays, afin de pouvoir agiter une nouvelle fois leurs couleurs sous la flamme olympique.
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